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Ça Pétille : Camp Poutine

Avec Camp Poutine, Aurélien Ducoudray nous entraîne une fois encore en Russie, il signe avec Anlor une nouvelle collaboration chez Grand Angle et le projet est à la hauteur de l’énorme attente.

Avec sa patte singulière d’ancien reporter, le scénariste nous mène sur un terrain qu’il aime particulièrement pour sa culture, son côté âpre et terrien. Une terre rude sur laquelle des enfants de 5 à 15 ans se rendent volontairement dans des camps privés à la gloire du président. Ils y jouent à la guerre, s’entraînant à lutter aveuglément contre tous les « ennemis de la nation ». Ensemble, ils apprennent à haïr, à devenir des « patriotes ».

Il est une nouvelle fois parti d’un reportage photographique qu’il affectionne, d’un documentaire « un été avec Anton » mais aussi d’une chanson reproduite dans l’album.
Dans ce premier volet, le scénariste nous propose d’accompagner des enfants qui partent avec enthousiasme, tout en nous incitant à mettre de côté notre vision européenne qui est certes sous bien des aspects aux antipodes d’un nationalisme insidieusement entretenu.

Les personnages sont extrêmement intéressants à l’image de Katyusha, une jeune fille fascinée par Vladimir Poutine qui revient au camp dans l’espoir de le rencontrer. Elle pourrait être le personnage principal et pourtant il n’en est rien. C’est la relation qui se tisse entre les adolescents au fil des pages qui occupe la première place. Elle subit des rebondissements et c’est assez prenant. Il n’y a pas de véritable leader dans ce volet, c’est ce qui est assez significatif quand on observe les deux couvertures, les acteurs qui ont tous des tronches particulières y figurent. Côte à côte, ils s’observent avec défiance et ça résume assez bien la situation.

L’auteur a imaginé une fiction qui débute comme un départ joyeux et qui glisse habilement vers l’horreur, il parvient à nous surprendre tout en nous laissant nous faire notre opinion. La démarche est objective, louable et singulière. Il ajoute une nouvelle fois des touches d’humour dont il a le secret.

De son côté, Anlor livre comme elle le fait toujours une prestation de haute volée qui soutient parfaitement la narration. L’édition noir et blanc qui se présente sous la forme storyboard / planches encrées en vis-à-vis offre un regard privilégié sur la conception de l’objet et sur la technique de la dessinatrice. Il démontre une réflexion d’ensemble pertinente pour une lecture fluide. Il souligne son découpage très vivant dont on peut apprécier l’évolution et les étapes, tout en mettant en valeur un travail sur le trait particulièrement impressionnant. Il dévoile les modifications dans les cadrages et les dialogues et c’est assez plaisant.

Ses dessins spontanés, énergiques et vivaces, les couleurs numériques utilisées renforcent la fraîcheur d’une histoire estivale. Ils contrastent judicieusement avec un récit assez terrifiant tout en apportant un souffle d’aventure appréciable.

Camp Poutine est un récit captivant et réussi qui soulève de nombreuses interrogations. Il hameçonne le lecteur d’une bien belle manière tout en le laissant sur un clifhanger redoutable.

Après Amère Russie et A coucher dehors , les deux auteurs ont su se renouveler. L’édition collector de cette première partie de diptyque est un petit bijou et l’album colorisé qui sortira le 24 avril un très bel objet.

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